Décidément, la laïcité est au cœur de cette campagne électorale. Pour le meilleur mais surtout, malheureusement pour notre République, pour le pire...
Si quelques candidats, comme François Hollande et Jean-Luc Mélenchon, ont à cœur de défendre les valeurs laïques, chacun à sa façon (1), d'autres en revanche ont décidé de la placer dans leur ligne de mire. Et fort logiquement, la réaction des responsables religieux ne se fait pas attendre. Autant dire que dans la période clé que nous vivons, les défenseurs de la cause laïque doivent faire preuve de vigilance.
Le coup le plus léger et le plus anecdotique est venu de la candidate écologiste. Quelle drôle d'idée a encore eu l'iconoclaste Eva Joly de vouloir ajouter de nouveaux jours fériés pour le Kippour et l'Aïd. au moment même où les pratiques religieuses sont en recul ! Si le déséquilibre des jours fériés lui déplaît tant, ce que je peux comprendre, pourquoi ne pas plutôt proposer de remplacer les jours fériés d'influence chrétienne par d'autres jours chômés commémorant, eux, des valeurs universelles humanistes : la paix, la fraternité, l'égalité et… la laïcité justement !
Il y a hélas plus grave...
Depuis des mois, la laïcité est en effet instrumentalisée à des fins politiques par le FN à l'extrême-droite et par une UMP dont la trajectoire dévie progressivement mais sûrement vers la droite dure.
Les dirigeants et candidats de ces deux partis font en effet de la laïcité l'un des thèmes principaux de leurs campagnes. Mais d'une façon bien particulière qui n'appartient qu'à eux. Que l'on est loin de la tradition française issue du compromis raisonnable et durable de la loi du 9 décembre 1905 : une laïcité qui protège autant ceux qui croient au ciel que ceux qui n'y croient pas.
La visions « laïque » de l'UMP et du FN est pour sa part intolérante, stigmatisante, excluante. Quelques rappels le démontrent avec clarté.
Ainsi, le FN déclare vouloir instituer « un ministère de l’Intérieur, de l’Immigration et de la Laïcité » pour « assurer une politique nationale cohérente de défense et de promotion de la laïcité ». Pourquoi lier ainsi immigration et laïcité si ce n'est pour sous entendre que cette dernière n'est menacée que par les immigrés ? Or, les commandos anti IVG menés par les catholiques traditionalistes, à la peau bien blanche et aux idées aussi courtes que les cheveux, ne menacent-ils pas plus sûrement la laïcité ?
Le FN veut aussi interdire « tous les baux emphytéotiques et autres facilités accordés à des cultes en contradiction avec la loi du 9 décembre 1905 » et obliger « les fidèles [à] construire leurs lieux de culte avec leur propre argent, quelle que soit la religion concernée (…) afin de limiter toute infiltration d’une idéologie politico-religieuse [à travers un] appel à de l’argent provenant de l’étranger. » On devine aisément que bien loin d'une vision neutre et universaliste, ce ne sont pas les cultes catholiques, protestants ou juifs qui sont ainsi visés -ces croyants-là possèdent ou disposent de longue date de lieux suffisants à l'exercice de leurs cultes. Dans l'expression des ses ressentiments racistes, Marine Le Pen fait preuve de plus d'habileté que son père...
L'UMP a décidé de son côté que l'exploitation du thème de l'insécurité ne suffirait pas cette fois-ci à lui permettre d'espérer la victoire, Nicolas Sarkozy étant d'une façon ou d'une autre en charge des forces de l'ordre depuis maintenant dix ans, avec l'insuccès que l'on sait. Face à la perspective d'une défaite, que le danger d'un FN new look accroît, le Président-Candidat choisit de mettre ses pas dans ceux de Le Pen sur le chemin du détournement honteux de la laïcité.
Tout avait mal commencé, il est vrai, avec le discours de Latran prononcé par Nicolas Sarkozy le 20 décembre 2007 : « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance »).
Le Président-Candidat ne s'est hélas pas arrêté en si mauvais chemin. Il a ensuite missionné son ministre de l'Intérieur pour attiser le feu.
Claude Guéant s'y livre de bon cœur depuis des mois. Déjà le 4 avril 2011, il déclarait à Nantes qu'en « 1905, il y avait très peu de musulmans en France (…) aujourd'hui il y en a entre 5 et 10 millions (…) cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème ».
A l'occasion de cette élection présidentielle, le sinistre collaborateur enfonce le clou.
Ainsi début mars, Claude Guéant affirmait ainsi depuis Marseille que le droit de vote des étrangers aux élections locales constitue une menace : « il y a un risque, si des conseillers municipaux étrangers sont élus, que les droits communautaristes viennent à être mis en vigueur ». Quelques heures plus tard en Avignon, il ajoutait : « nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la présence de la nourriture halal dans les menus des cantines scolaires ».
Comme on le voit, la frontière entre UMP et FN, entre Sarkozy et Le Pen, s'étiole dangereusement et la jonction s'effectue sur le thème de la laïcité, en la détournant scandaleusement des valeurs humanistes dont elle est l'expression.
Une brèche béante étant dès lors ouverte dans la tradition laïque française, certains responsables religieux ne manquent pas l'occasion de s'y engouffrer.
La plus inacceptable des réactions est venue hier à l'occasion d'une interview du Président du Consistoire central publiée sur lemonde.fr.
Joël Mergui commence par se plaindre des propos tenus par le Premier ministre sur l'abattage rituel, indiquant que la communauté juive est aujourd'hui, à cause des propos de François Fillon, « inquiète, profondément atteinte, blessée et en état d'alerte ».
Il poursuit en affirmant que cet abattage rituel est « le cœur de nos règles alimentaires. C'est un des fondements du judaïsme qui a survécu à toutes les époques, dans toutes les civilisations, à l'exception de la période nazie, au cours de laquelle la shehita (abattage rituel) fut interdite en Allemagne. »
Puis il dérape en concluant, dans un effrayant parallèle qui fait exploser le point Godwin, qu'aujourd'hui, « face à une radicalisation montante de la laïcité, émerge une forme d'antijudaïsme. »
Ce responsable religieux a visiblement perdu tout sens de la mesure et toute raison. D'abord parce qu'il est particulièrement indigne pour un responsable juif de jouer ainsi avec la référence au nazisme. Ensuite parce qu'il faut être soit dépourvu de bon sens soit débordant d'arrières-pensées pour voir une « radicalisation de la laïcité » là où il n'y a en en réalité qu'un scandaleux détournement des principes qui la sous-tendent.
Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy ont ouvert une boite de Pandore. Il sera très difficile pour les laïques sincères que nous sommes de la refermer...
(1) Proposition 46 de François Hollande : "Je proposerai d’inscrire les principes fondamentaux de la loi de 1905 sur la laïcité dans la Constitution en insérant, à l’article 1er, un deuxième alinéa ainsi rédigé : « La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle. »
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